Au tour de Papa de s’y mettre. Je n’ai certainement ni le goût ni le talent de Mamá pour l'(e-)écriture mais je vais essayer de raconter de temps en temps tes exploits les plus remarquables. J’ai trop peur qu’on en oublie une partie et ça serait tellement dommage de ne pas pouvoir te raconter tout ça par la suite. Même si en fait peut-être que tu n’en auras pas grand chose à faire. J’étais moi même il n’y a pas si longtemps encore de ceux-là qui, lorsque leur collègue, ami ou autre leur parle de la colique de leur enfant pendant 20 minutes, donne illusion de s’intéresser par un hochement de tête régulier (dont la fréquence doit être minutieusement ajustée) tout en pensant à tout autre chose. Maintenant, je suis le seul papa parmi mes collègues Berlinois et oui je suis devenu celui qui raconte une anecdote qui n’intéresse personne pendant le repas de midi. Au moins ça me permet d’améliorer mon anglais, y a personne pour m’interrompre !
Parmi les nombreux challenges que tu rencontres tous les jours, l’acquisition du langage prend une place particulière (comme pour tous les petits mais c’est encore un peu plus vrai pour toi sans doute). Tu parles “comme Papa” avec notamment ton oncle Dridri, Marie, Maud, Lucie, Papa bien sûr. Tu parles “comme Mamá” avec l’Abuelo, l’Abuela, Nini, Mamá et la plupart des amis/collègues de Mamá. Et tu parles “comme à la kita” à la kita (crèche en allemand) avec tes amis de la crèche, les éducatrices, quelques amis et à la plupart des inconnus tels les serveurs ou ton copain le vendeur de glaces.
On avait beau s’être pas mal documenté sur le multilinguisme et été plus que rassurés (si tant est qu’il eut été un jour besoin de s’inquiéter) on s’engageait quand même sur un terrain inconnu pour nous, surtout pour moi d’ailleurs. On se demandait bien comment tout cela aller s’organiser dans ta petite tête et si ça allait te poser des difficultés ou des frustrations. Cela doit te paraître tellement naturel maintenant que tu ne comprends peut-être pas mon émerveillement mais te voir passer si tôt et si aisément d’une langue à l’autre quand tu parles à Mamá ou à moi m’a stupéfait. Je te vois jouer avec les langues, essayer de deviner le mot français en appliquant des méthodes, souvent bien senties, de transformations espagnol -> français ou inversement. Ça ne fonctionne pas à tous les coups et ça donne parfois de bons fous rires. J’adore comme tu prononces mélocoton à la française pour essayer de deviner le mot en français (pêche), tu as inventé la transformation malette pour maleta en espagnol et bien d’autres qu’il faut que j’essaye de noter au fur et à mesure. C’est génial car ça te permet bien souvent d’utiliser ton apprentissage d’une langue pour avancer dans les autres parallèlement.
Hier on a pu constater un autre phénomène très intéressant. Tu n’as jamais eu trop de problèmes pour savoir dans quelle langue il fallait parler à telle personne. Tu ne te poses même pas la question. On pourrait penser que si tu entends l’autre personne te parler dans une langue tu réponds de la même manière mais en fait le lien entre une personne et une langue est encore beaucoup plus fort qu’on pourrait l’imaginer. On avait déjà pu le constater lorsque tu t’es énervée contre l’Abuela parce qu’elle s’était mise à parler en français, “Abuela, ¡hablas mal!”. Aussi, si Mamá te parlait en français tu ne l’écoutais pas ou alors au contraire la regardais d’un air extrêmement surpris. Mais hier donc cela a pris encore une autre forme. Le téléphone sonne à la maison et c’est toi qui réponds comme tu aimes le faire depuis peu. Tu te mets à parler en espagnol, raconte des choses qui nous font comprendre que c’est l’Abuelo. Au bout d’un long moment, tu donnes le téléphone à Mamá qui, à sa grande surprise, constate que c’est Dridri. On ne comprend pas trop, on demande à Dridri, il te parlait en français pourtant depuis le début mais tu lui répondais systématiquement en espagnol. Tu ne fais jamais ce genre de choses habituellement. On te demande donc avec qui tu as parlé et tu réponds “Abuelo”. En réalité tu avais confondu la voix de Dridri et celle de l’Abuelo et, persuadée de parler avec l’Abuelo, tu t’adressais à lui en espagnol naturellement sans même te rendre compte que la personne au téléphone te répondait en français. On t’explique donc que c’est Dridri et pas Abuelo, on te redonne le téléphone et tu te mets à lui parler en français bien sûr et à rigoler avec lui de la confusion.